Attentifs
ensemble ne
défend aucune thèse, aucun parti, aucune idéologie. Ses
personnages se veulent inclassables. Bien sûr, la police et certains
médias les qualifient de « gauchistes » ; mais
c'est surtout par facilité, et parce que c'est utile pour les
discréditer (autrement dit : c'est une arme dans un rapport de
force, et pas un argument dans un débat d'idées.)
Le
Front Républicain Populaire (FRP) combat surtout l'esprit de
sérieux, celui des dogmes libéraux comme celui des militants
d'extrême gauche (par exemple Boris Kuntz, tourné en ridicule au
chapitre 12.) Attentifs
ensemble est
donc avant tout un roman situationniste, provocateur voire
franchement potache, avec ses vidéos diffusées en ligne et qui
rappellent un peu les détournements situs. Mais on peut aussi penser
aux « récupérations » de maoïstes des années 1970
dans les supermarchés, ou au gang des postiches qui (sans aucun
objectif politique) se déguisait pour braquer des banques dans les
années 1980.
En
même temps, nous subissons en 2020 en France un gouvernement qui
applique une idéologie capitaliste aussi rigide qu'un discours
nord-coréen et plus meurtrière que les attentats djihadistes, et ne
parvient à l'imposer, vu son absence d'arguments qu'au moyen
des LBD, du tabassage de journalistes, du mépris de toute
opposition.
C'est logique : ce n'est pas un pouvoir politique, mais une
courroie de transmission du pouvoir financier. Le bas peuple ne peut
pas comprendre, voyez-vous ; il faut moderniser « la team
France » ;
alors faisons preuve de « pédagogie », ouvrons un
« grand débat » et des « négociations »,
mais ne discutons que des détails, c'est quand même nous qu'on a
raison.
Dans
ces conditions, on peut concevoir que des individus en viennent à
douter que nous soyons encore réellement en démocratie, malgré la
persistance d'une Justice indépendante (mais aux moyens en
diminution), d'une presse libre (mais aux mains de groupes financiers
et de leurs annonceurs) et du suffrage universel (mais orienté par
cette presse « libre ».)
Ont-ils
raison ? La pensée de Marion, Hendrix et des autres n'est-elle
pas lacunaire ou schématique ? Et même s'ils étaient dans le
vrai, les actions qu'ils choisissent seraient-elles les plus
judicieuses, les plus efficaces ? Attentifs
ensemble explore seulement cette hypothèse : que les
doutes de Marion et de ses comparses sur l'état de notre société
puissent être justifiés, totalement ou en partie. Mais le roman ne
conclut pas sur toutes ces questions. Sinon, ce serait un essai
théorique, un traité politique. Or c'est une fiction, avec
l'avantage de ce genre d'hypothèses de permettre d'imaginer toutes
sortes d'actions, qui donnent du rythme et de la couleur.
Quant
aux personnages qui se disent « gaullistes », l'arnaque
est tout de même moins grossière que lorsque LREM se prétend
« centriste » et « progressiste » – ou que le
PS se dit « socialiste ». Tout le monde joue sur le
langage : on est décidément dans le roman, dans la littérature
– pour laquelle la politique est parfois un thème foisonnant, et
la réalité un cadre excitant. Même quand les villes sont
organisées de manière fonctionnelle, quand le boulot rime avec Uber
ou Deliveroo, et quand l'horizon pousse au pessimisme, il reste
possible de lire des histoires ; et qu'elles contribuent à une
résistance ou à l'avènement d'un monde idéal, c'est une affaire
qui dépasse le livre. De toute façon, Macron l'a dit: le résistant gaulliste, c'est lui.